La couche chaude

par
Bertrand Masson

Fleuron

La couche chaude est une technique, élaborée au XIXe siècle, permettant des cultures précoces, ceci grâce à la chaleur résultant de la fermentation de fumier frais. Cette couche chaude est surmonté d'une couche de terreau et le tout est recouvert d'un châssis. On peut ainsi réaliser des semis très tôt dans la saison. C'est entre autre grâce à cette méthode que les maraîchers parisien du XIXe siècle obtenaient des melons mûrs à Paris dès le mois d’avril et faisaient 8 récoltes de légumes par ans.

Voici une citation de deux maraîchers parisiens J. G. Moreau et J. J. Daverne :

« Dès le mois de novembre, et souvent dès octobre, les maraîchers parisiens fournissent à la consommation des asperges blanches et presque toute l'année des asperges vertes ; en janvier, des laitues pommées en abondance ; en février, des romaines; en mars, des carottes nouvelles, des raves, des radis et du cerfeuil nouveau, des fraises, etc. ; en avril, des tomates, des haricots, des melons, etc.»

Couche chaude à Saint Venant

Culture sur couches à Saint-Venant (Nord), remarquez la très faible inclinaison de châssis.

Pour réaliser cette fiche je me suis inspiré de trois bouquins du XIXe siècle :

Maraichers à La Courneuve

 
Maraîchers à La Courneuve (93), les rouleaux de paille servent à recouvrir, la nuit, les châssis les jours de grands froids.

Il existe trois types de couches chaudes en fonction de la température atteinte par la fermentation du fumier :

Il faut aussi mentionner le réchaud et l'accot. Faire un accot c'est mettre autour d'une couche maraîchère une ceinture de fumier vieux de 40 à 50 cm de large et de la hauteur de la couche, bien pressé pour empêcher le froid de pénétrer dans la couche par les côtés, le réchaud quand à lui permet de prolonger l'effet de la couche chaude, quand sa chaleur diminue, en entourant la couche chaude d'une ceinture de fumier frais qui va monter en température par fermentation.

Les fumiers

Les fumiers de cheval, d'âne ou de mulet sont ceux qui donnent la chaleur la plus forte, mais elle n'est pas de très-longue durée. Ils faut donc leur adjoindre des feuilles mortes qui prolongent la fermentation et maintiennent plus longtemps la chaleur.

Le fumier est d'autan meilleur qu'il est imbibé d'urine. Ces fumiers doivent être employés frais, c'est-à-dire avant qu'ils aient fermenté. Tout fumier vieux, c'est à dire qui a commencé à fermenter, est impropre à la réalisation de couches chaudes. Les fumiers de cheval, d'âne ou de mulet sont les seuls qui puissent ce conserver. Ils suspendent leur fermentation à l'état sec et la reprennent dès qu'on les mouille. S'il sont en tas depuis longtemps il faut leur adjoindre lors de la composition des couches du fumier frais. Il faut le laisser sécher un peu avant de le mettre en tas, et avoir le soin de placer plusieurs perches en travers de place en place afin de pouvoir aérer le centre et l'empêcher d'entrer en fermentation et de le conserver sous hangar ou de placer un capuchon de paille au sommet pour empêcher la pluie de pénétrer.

Le meilleur fumier de cheval pour faire des couches chaudes était celui provenant des auberges qui accueillaient beaucoup de chevaux entiers et qui économisaient la paille. La paille était tellement piétinée par les chevaux qu'il entrait en fermentation automatiquement. Le fumier de chevaux entiers est plus chaud que celui de hongres.

Le fumier de vache, dont la fermentation est moins turbulente que celle du fumier de cheval, mais de plus longue durée. Le fumier de vache est excellent pour la confection des couches tièdes, mêlé avec un peu de fumier de cheval, et pour celles des couches sourdes, mêlé avec des feuilles et des matières herbacées.

Les fumiers de lapins et de porcs, mêlés avec des herbes pour les couches sourdes seulement.

Les matières végétales

Les feuilles doivent être ramassées juste après leur chute et avant leur décomposition et par temps sec car il faut les conserver sèches jusqu'à leur utilisation. C'est en octobre et en novembre au plus tard qu'il faut les ramasser, après elles sont décomposées par les pluies et ne fermentent plus. Les feuilles fermentent doucement et conservent leur chaleur pendant fort longtemps. Elles font les meilleures couches chaudes, mêlées avec du fumier de cheval, en ce qu'elles conservent longtemps la chaleur développée par le fumier.

Les feuilles sont très précieuses aussi pour les couches tièdes, où elles peuvent entrer dans la proportion des deux tiers avec un tiers de fumier de cheval.

La mousse peut entrer aussi dans la confection des couches, elle est moins active que les feuilles, mais sa chaleur est d'assez longue durée, on peut faire d'excellentes couches tièdes et sourdes avec de la mousse et du fumier ; cela est très économique dans le voisinage des bois.

Les tontes de gazons et les herbes employées toutes fraîches, venant d'être coupées et mêlées à un peu de fumier, peuvent encore faire des couches sourdes.

Couches chaudes

Elles se montent de janvier à mars pour les semis de toutes espèces, et pour élever les premiers melons. Il doit entrer dans ces couches une assez grande quantité de fumier de cheval (2/3) pour obtenir une chaleur très élevée ; mais si les plantes que l'on doit y élever sont destinées à y rester quelque temps, il est urgent de mêler un tiers de feuilles au fumier de cheval frais, afin de conserver une chaleur plus soutenue.

Préparation du fumier

On doit préparer le fumier avant de l'introduire dans la couche. On ne fait pas le mélange dans la couche. Il faut bien mélanger le fumier sans le secouer pour éviter que le crottin se détache de la paille. Il est important que le mélange soit homogène à parts égales de crottin, paille et feuilles. Il faut délier les nœuds de paille et diviser les plaques de crottin. Si le mélange est mal réalisé il ne montra pas en température. Il faut arroser le tout délicatement à la pomme d'arrosoir. Le mélange doit être humide sans excès. Il faut se garder de le noyer, le fumier trop mouillé pourrit sans donner de chaleur. Le fumier est mouillé à point quand en le pressant dans la main il garde sa forme sans exprimer d'eau.

Tranchée pour l'implantation de la couche chaude (Gressent)

Tranchée pour l'implantation de la couche chaude (Gressent).

Préparation des couches

Lorsque l'on fabrique les couches chaudes il est préférable de les disposer en lignes parallèles pour optimiser l'action des réchauds. Gressent préconise des couches de 1,40 m de large séparées par un sentier de 40 cm, pour Moreau la largeur préconisée est de 1,60 m, chez eux aucune allée ne dépasse 33 cm (1 pied). De toute façon la planche doit être plus large et plus longue que les châssis. La couche doit déborder pour que l'action de la couche et des réchauds soit optimum. On creuse ces planches sur une profondeur de 10 cm (33 cm pour Moreau et Courtois). On réserve la terre qui sera remis sur la surface de la couche. La hauteur de la couche dépend de la saison et de l'usage,varie de 40 à 66 cm. Pour rendre les couches plus solide on les monte en torchée c'est à dire en pliant  le fumier sur les bord des couches.

Au fond de la tranchée on pose le fumier bien à plat (la paille doit toujours être couchée jamais debout) en ayant soin d'appuyer chaque fourchée avec le dos de la fourche de manière à former un lit très égal et surtout sans cavités. On foule ensuite le fumier avec les pieds en y versant quelques arrosoirs (il se tasse mieux).

Pour les couches chaudes, une épaisseurs de 40cm de fumier, mouillé et foulé est suffisante d'après Gressent, Moreau en fonction des conditions climatiques préconisent une hauteur comprise entre 40 et 60 cm, Courtoi quand à lui préconise 66 cm . On peut réaliser cette couche en plusieurs passes.

Lorsque la couche chaude est réalisée on place les châssis sur la couche qui doit déborder. Gressent utilise des châssis ayant la même hauteur sur tous les côté et pas de châssis avec une hauteur plus petite à l'avant qu'à l'arrière. Pour lui on donne une pente trop forte aux châssis de 20 à 40 cm, ce qui a pour conséquence des plantes à l'avant souffrant de chaleur et celle de derrière de froid.  Gressent préconise  une pente de 2 à 3 cm, réalisée en plaçant une brique aux angles arrière du châssis. La pente est orientée au sud, le grand axe des châssis est est-ouest.

Chassis posé sur la couche chaude, qui déborde (Gressent)

Chassis posé sur la couche chaude, qui déborde (Gressent).

On recouvre ensuite la couche chaude en remplissant le châssis d'un mélange de terreau et de terre provenant de la fosse creusée pour la fabrication de la couche. On laisse seulement un vide de 5 à 6 cm entre le terreau et les vitres du châssis. On laisse un peu plus (8 à 12 cm) si l'on destine les couches à du repiquage. Cet espace est suffisant quand on sème. Pendant le temps que les plantes lèvent et produisent leur première feuilles, le fumier de la couche se tasse, le terreau descend, et libère la place nécessaire au développement des plantes. La couche de terreau ne doit jamais être inférieur à 20 cm. Si les racines atteigne le fumier, les plantes poussent avec une rapidité énorme sans donner de fruit.

Réalisation des réchauds qui monten jusqu'au sommet des chassis (Gressent)

Réalisation des réchauds qui montent jusqu'au sommet des châssis (Gressent).

On réalise les réchauds comme les couches. Leur largeur doit être de 50 cm et leur hauteur correspond au sommet du châssis qui doit être complètement enfoui. Il faut contrôler les réchauds et ajouter du fumier quand le niveau de réchauds diminue et que le sommet des châssis réapparaissent.

Couche chaudes avec plusieurs chassis en lignes paralèlles (Gressent)

Couche chaudes avec plusieurs châssis en lignes parallèles, les réchauds entourent complètement les châssis (Gressent).

Au bout de 3 à 4 jours on sème. Attention au coup de feu, période pendant laquelle le fumier en fermentation monte en température, jusqu'à 70°C. Il se produit 3 à 4 jours après la fabrication de la couche et peut durée 5 à 6 jour. Il faut bien entendu semer après. Un thermomètre plonger de 8 cm dans le  terreau peut être utile pour mesurer la température.

Si la température des couches devient trop froide (période de gel) on mélange du fumier frais à celui des réchaud en le ré-humidifiant et en le foulant. La chaleur des couches est ranimée.

Vue en coupe d'une couche chaude.

Vue en coupe d'une couche chaude : A - fumier, B - châssis, C - terreau, D - réchauds.

Couches Tièdes

Elles se fabriquent comme les couches chaudes mais avec une épaisseur moindre de fumier (30 cm) ou avec avec un fumier moins riche (de vache ou avec plus de feuilles ou de paille). On les fabrique en février - mars.

Couches sourdes

On les fabrique  fin mars début avril quand les gelées sont rares. On les monte dans des tranchées de 0,8 m à 1 m de large et profonde de 15 à 20 cm. On peut employer toutes les matières fermentescibles pour leur confection : 1/3 de fumier de cheval ou de vache (mêlé à du fumier de porc ou de lapin) et 2/3 de mousse, feuilles, tiges tendre de genêt, d'ajoncs, de bruyères, roseaux ou même tonte de gazon ou herbes coupées. Il se prépare de la même manière que pour les autres couches, foulé et humidifié. Ces couches sont très utiles pour les semis délicats et les repiquages de plantes sensible aux gelées (tomates, concombres,…).

Les poquets

Ils sont utiles si l'on cultive peu. En pleine terre on fait un trou rond de 60 cm de profondeur. On le remplis avec des matières fermentescibles mêlées à un peu de fumier on mouille et on tasse avec les pieds. On recouvre avec la terre extraite du trou mélangé à du terreau et l'on recouvre avec une cloche. On place un plant par poquet. Utilisable pour la culture de tomate, aubergine, melon concombre,…


À la fin de la saison on vide les tranchées ayant contenu les couches chaudes et on recommence. Le mélange fumier feuilles qui a complètement fermenté donne un excellent  terreau.

Des petites vidéo pour compléter

Une vidéo extraite d'un article de Ivan du Roy et Agnès Rousseaux S’initier à l’agroécologie : mode d’emploi, paru dans Basta ! et qui parle d'une visite à la ferme expérimentale de l’association Terre et Humanisme (Pierre Rabhi), installée au cœur de l’Ardèche.

Une vidéo produite par la RTBF

Et une vidéo du ministère de l'agriculture de la province de Québec, réalisée en 1942 par l'abbé Maurice Proulx